Vous l’avez remarqué ? Il ne se passe pas un jour sans qu’on ne tombe sur un article d’intelligence collective, d’intelligence émotionnelle ou d’intelligence artificielle.
Bien sûr, vous connaissez l’acronyme VUCA qui désigne le monde dans lequel nous vivons, qui est de plus en plus Volatile, Incertain (Uncertain), Complexe et Ambigu. Nos problématiques sont de plus en plus difficiles à analyser et les solutions pertinentes de plus en plus difficiles à imaginer et à mettre en œuvre. On a donc naturellement besoin de faire appel à toute notre intelligence, que le Petit Robert définit comme étant « la faculté de connaître, de comprendre » et « l’aptitude (d’un être vivant) à s’adapter à des situations nouvelles, à découvrir des solutions aux difficultés qu’il rencontre ».
J’ouvre une parenthèse sur l’«intelligence artificielle » pour rappeler que le terme d’ « intelligence artificielle » est extrêmement trompeur. L’ « intelligence artificielle » n’est « juste » que de l’informatique de très haut niveau. Il y manque l’intuition, l’émotion, l’empathie, le libre arbitre, etc. , autant de qualités de l’être vivant qui sont inhérentes à l’intelligence. Donc prenons l’« intelligence artificielle » pour ce qu’elle est, et efforçons de reconnaitre ses limites, de tenir compte de ses innombrables enjeux, en questionnant et en anticipant ses inévitables externalités négatives (ça pourrait être le sujet d’un autre article).
Intéressons-nous ici à notre fantastique intelligence humaine puisque la connaissance de son fonctionnement peut nous faire avancer à pas de géant dans ce monde VUCA qui est le nôtre.
J’aimerais que nous soyons de plus en plus nombreux à être en capacité de faire pleinement appel à notre intelligence collective, à notre intelligence émotionnelle et à notre intelligence « tout court ».
Je sais bien qu’à titre individuel, nous souhaitons tous trouver des solutions aux problèmes de notre époque, de notre travail et de notre vie personnelle mais que nous nous sentons souvent dépassés. D’abord, nous ne sommes pas omnipotents et il nous faut choisir nos combats. Ensuite, qui ne ressent pas la pression du temps qui ne cesse de s’accélérer depuis le début de la révolution digitale ? Qui ne passe pas la majorité de son temps à gérer les urgences ? Qui a le luxe de prendre le temps de faire le tri entre les problématiques importantes de celles triviales ?
Pourtant, en prenant la peine de se poser juste quelques instants, en s’appuyant sur les neurosciences cognitives et comportementales (Approche Neurocognitive et Comportementale développée par l’Institut de NeuroCognitivisme) qui nous apportent une grille de compréhension et des outils concrets, il est possible d’apporter de meilleures réponses à nos problématiques, quelles soient personnelles, professionnelles ou plus globales.
Les neurosciences cognitives et comportementales nous enseignent en effet que nous avons une fâcheuse tendance à traiter les problèmes en « mode automatique » et non pas en « mode adaptatif ». Elles nous aident à aller au-delà de nos habitudes, de nos zones de confort et d’explorer d’autres facettes de nous-mêmes pour accéder à tout notre potentiel et trouver des réponses plus satisfaisantes à ces problèmes qui nous taraudent.
N’avez-vous jamais remarqué que vos amis vous donnent des idées, pas forcément très compliquées ni originales, que vous ne parvenez pas à avoir et, réciproquement, que lorsque l’un de vos amis est coincé dans une problématique, vous parvenez à l’analyser et à y trouver une issue ? Ceci tout simplement parce que lorsque nous sommes sous stress important, nous sommes en « mode automatique », ce qui se traduit par une baisse de nos capacités cognitives, à moins de considérer cet état de stress comme un signal et de parvenir à basculer rapidement en mode adaptatif.
La première des choses est donc de savoir reconnaitre lorsqu’on est en « mode automatique ». Si on sent son niveau de stress monter, il y a de fortes chances qu’on y soit. Attention, le stress peut être très sournois. Les neurosciences nous apprennent qu’il peut revêtir 3 formes : la lutte, la fuite ou l’inhibition. Si on est dans la lutte, notre stress sera à priori assez visible, y compris de notre entourage, et se manifestera à coup de « j’ai raison », « il a tort et je vais lui prouver ». La fuite sera plus difficile à percevoir et se manifestera par des pensées du style « j’en ai marre, j’arrête tout ». Enfin, l’inhibition peut être complètement invisible et les pensées associées seront « je suis nulle », « à quoi bon ». Attention dans ce dernier cas à ne pas confondre stress et dépression.
Alors, que sont précisément ces modes automatiques et adaptatifs ? et surtout comment passer du mode automatique au mode adaptatif ?
Lorsqu’il s’agit de prendre une décision, 4 « gouvernances » principales de notre cerveau rentrent en jeu. Les 3 premières gouvernances constituent ce qu’on appelle le mode automatique, la 4ème gouvernance correspond au mode adaptatif.
Voyons plus en détail quelles sont ces 4 gouvernances et pour quelles raisons les 3 premières ne sont pas adaptées face à la complexité.
La gouvernance instinctive est la plus archaique des gouvernances. Elle est mature chez l’homme à la naissance et non contrôlable par la conscience. La gouvernance instinctive se met en action spontanément face à la perception de risque pour notre survie individuelle. Lorsqu’elle est activée, elle nous met en position de fuite, de lutte ou d’inhibition, telle la gazelle face à un lion.
La gouvernance grégaire se retrouve également chez les animaux vivant en clan. Elle a pour fonction d’assurer la régulation des rapports sociaux entre individus. Chez l’Homme, cette gouvernance est à l’origine de rapports de force irrationnels et inconscients sur deux axes : confiance en soi (soumission/dominance) et confiance en l’autre (intégration/marginalité). Le positionnement sur ces axes évolue jusqu’à l’adolescence puis très peu. La gouvernance grégaire se met en action spontanément face à la perception de rapports de force.
La gouvernance émotionnelle gère le vécu émotionnel associé aux expériences passées et à l’apprentissage. Elle engendre la vision du monde, les préjugés et les jugements tranchés (ce qui est bien/ ce qui est mal, ce qu’on appelle également « valeurs » et « anti-valeurs »). La gouvernance émotionnelle se met en action spontanément face à des situations qui rappellent des expériences vécues.
La gouvernance adaptative mobilise les ressources du neocortex préfrontal (en formation progressive depuis la naissance jusqu’à l’âge adulte). Cette gouvernance correspond à notre intelligence et est capable de créer des réponses inédites pour s’adapter à la nouveauté et à la complexité. La gouvernance adaptative se met en action face à la nouveauté et à la complexité d’une situation.
Le mode mental automatique est extrêmement utile pour gérer les situations simples, connues, les actes automatiques, qui occupent l’essentiel de notre temps. Le mode adaptatif permet une meilleure adaptation aux événements complexes ou inconnus.
L’absence de bascule du mode mental automatique vers le mode mental adaptatif déclenche le stress, qui est le signal que nous devons effectuer cette bascule. Le stress est donc un signal d’alarme pour nous indiquer que le mauvais mode mental est aux commandes au détriment de celui qui serait en mesure de gérer cette situation: le mode adaptatif.
L’objectif de la bascule est de nous bousculer, de nous faire sortir de notre zone de confort, dans un cadre extrêmement bienveillant, pour être en mesure de porter un autre regard, c’est-à-dire un regard « adapté » et non plus « automatique », sur soi-même, sur les autres et sur le monde. Cet autre regard nous permettra d’appréhender notre problématique avec davantage d’intelligence et d’imaginer des solutions plus pertinentes.
Concrètement, comment faire pour basculer du monde automatique au mode adaptatif ?
On commence par prendre conscience de son niveau de stress (qui peut se manifester je le rappelle par de la lutte, de la fuite ou de l’inhibition). C’est une question d’hygiène mentale que de s’habituer à évaluer son état de stress. On peut même mettre une véritable alarme plusieurs fois par jour pour se forcer à se demander « à ce moment, dans quel état suis-je ? »
Prendre conscience du fait qu’on est en mode automatique face à une situation complexe est certes un premier pas essentiel mais n’est malheureusement pas suffisant pour basculer en mode adaptatif.
On peut aller beaucoup plus loin en se familiarisant avec les 6 « dimensions » des modes automatiques et adaptatifs afin d’identifier et de questionner la (ou les dimensions) qui est la plus problématique (ou qui sont les plus problématiques). Attention, cela nécessite une subtile combinaison de non-complaisance avec soi-même (oser se regarder avec lucidité dans le miroir) et d’extrême bienveillance (personne n’est parfait).
Les dimensions des modes mentaux face à une situation
Pour faire basculer notre cerveau en mode adaptatif, il est possible d’intervenir à 3 niveaux: un niveau purement cognitif, à un niveau émotionnel ou à un niveau comportemental, ces 3 niveaux étant intrinsèquement liés. La porte d’entrée peut varier d’une personne à l’autre et bien sûr en fonction de la situation.
Voici quelques exemples d’outils pour faire basculer certaines dimensions:
Pour développer la relativité et le recul pour vous aider à prendre une décision difficile, vous pouvez faire ce qu’on appelle un « pack aventure » Vous travaillerez ici la bascule à un niveau cognitif en vous efforçant de remplir les cases du tableau ci-dessous pour chacune des options envisageables (« ne rien décider » étant également une option à travailler). A l’issue de l’exercice, si vous avez « joué le jeu », votre niveau de stress devrait avoir largement baissé et vous devriez voir se dessiner avec une certaine sérénité la décision qui vous convient le mieux, tout en acceptant mieux les risques associés.
Pour développer votre opinion personnelle par rapport à une problématique donnée, vous pouvez lister toutes les choses que vous ne souhaiteriez pas que l’on pense de vous et demander ensuite à une personne de confiance de vous les dire extrêmement froidement, en vous regardant droit dans les yeux, jusqu’à ce que vous soyez en mesure de les entendre sans ne plus rien ressentir. Vous travaillerez ici la bascule à un niveau émotionnel et vous serez en mesure d’appréhender votre problématique avec une opinion personnelle plus assurée.
Pour développer votre souplesse et fluidité, vous pouvez travailler la bascule à un niveau corporel. Un exercice pertinent est de « danser » les yeux fermés, avec une autre personne avec un bâton qui vous tiendrez tous les deux du bout des doigts, en faisant des mouvements et avec l’objectif de ne pas le faire tomber. Vous travaillerez ainsi votre fluidité corporelle et donc également cérébrale. On retrouve ce qu’on sait intuitivement depuis toujours : lorsqu’on est stressé, faire du sport ne pourra que nous faire du bien et nous permettra d’avoir les idées plus claires…
Curieusement, mais ne nous en plaignons pas, le cerveau par défaut, quand on ne fait rien (sommeil, respiration consciente, méditation, rêvasserie) se met également en mode adaptatif ! Il peut être extrêmement efficace de le laisser mijoter tout seul à condition de l’avoir nourri en amont. Arrêtons donc de culpabiliser lorsque nous rêvassons !
Vous l’avez compris, ces exercices peuvent se faire à titre individuel pour développer votre mode adaptatif et donc votre intelligence personnelle face à la complexité, mais également de manière collective pour développer l’intelligence collective d’une entité.