L’engouement actuel pour le design thinking est très encourageant! c’est la preuve que nous sommes de plus en plus nombreux à avoir compris qu’il était essentiel de chercher à mieux résoudre nos problématiques en mettant l’humain au cœur du questionnement! Nous sommes de plus en plus nombreux a avoir compris qu’une des clés est l’empathie et nous cherchons à l’intégrer dans nos pratiques.
Nous allons sur le terrain faire des observations, des interviews et nous nous appuyons sur des outils tels que la « carte d’empathie », le « parcours utilisateur », etc. Mais ces observations sur le terrain et ces outils vont-ils vraiment vous aider à être plus empathique…? Je ne le pense pas. Ils ne vont pas suffire… Je pense qu’il convient avant tout de transformer votre état d’esprit… Et ce ne n’est pas si simple…
La première étape est de prendre conscience que l’on n’est quasiment jamais spontanément dans la véritable empathie. On est par défaut dans la projection ou dans le jugement. De nombreuses expériences ont été réalisées pour montrer que les enfants sont naturellement empathiques. Et je pense que c’est le cas. Cependant, ces expériences induisent souvent un biais : elles nous montrent des enfants réagissant avec empathie face à d’autres enfants parce qu’ils se projettent dans les mêmes situations (un enfant pleure en voyant un autre enfant triste, etc.). Or ce n’est pas bien compliqué d’être empathique envers ses semblables…
La difficulté est d’avoir de l’empathie envers les personnes qui ne fonctionnent pas comme nous, ou pire, qui ont un fonctionnement qui nous dérange… On tombe alors très facilement dans le jugement.
Par exemple :
Personne A : « Michel a besoin d’être mieux organisé. »
Moi : « Êtes-vous sûr que Michel ait besoin d’être mieux organisé ? »
Personne A : « Ben oui, c’est le bazar sur son bureau. »
Moi : « Oui, mais ce n’est pas vous qui avez besoin que Michel soit mieux organisé ? »
Personne A : « Ben si, mais lui aussi. »
Moi : « Peut-être que lui, au contraire, a besoin qu’on lui fiche la paix avec son bazar, qui en fait lui convient très bien… »
Personne A : « Ah oui… »
Un autre exemple :
Personne A : « Marie a besoin de plus déléguer. »
Moi : « Êtes-vous sûr que Marie a besoin de plus déléguer. »
Personne A : « Ben oui. »
Moi : « Ce n’est pas vous qui avez besoin que Marie délègue plus ? »
Personne A : « Si… »
Moi : « Peut-être que Marie a besoin, au contraire, de tout contrôler et vous, vous aimeriez qu’elle délègue plus… »
Je rencontre très souvent ce type d’échanges…
Quand l’on voudrait qu’une personne fasse quelque chose qu’elle ne fait pas, c’est souvent que l’on a des besoins contradictoires, qui créent une tension, qu’il convient de mettre à jour… Et chacun d’entre nous essaie, par différentes techniques de domination et/ou d’intimidation et/ou de manipulation, de faire changer d’avis ou de comportement l’autre personne… On se leurre complètement si l’on pense que c’est une bonne manière de résoudre le problème…
Une manière beaucoup plus constructive de sortir de ce type de problème est de,
- premièrement, déterminer la véritable problématique sous la forme « Comment faire pour concilier des besoins, attentes, points de vue, fonctionnements contradictoires ou qui paraissent inconciliables ? »
- et ensuite faire appel à sa créativité pour chercher des pistes de solutions, qu’il conviendra de prototyper de manière collaborative, de tester, d’améliorer, de communiquer, d’expérimenter en mode boule de neige…
Le jour où cette démarche sera enseignée aux décisionnaires, le monde tournera mieux…
Revenons à l’empathie.
La véritable difficulté est d’avoir de l’empathie envers des personnes que l’on déteste… Et pourquoi est-ce alors essentiel ? Parce que c’est à cette seule condition que l’on pourra comprendre quel est le véritable problème à résoudre et que l’on sera donc en mesure d’y apporter des réponses pertinentes…
“Si j’avais une heure pour résoudre un problème, je passerais cinquante-cinq minutes à définir le problème et seulement cinq minutes à trouver la solution.” disait Albert Einstein.
Lors de mes interventions, après avoir pris soin de bien expliquer aux participants ce qu’est réellement l’empathie et toute son importance, et afin de leur faire ressentir ses enjeux et à quel point il est difficile d’être empathique, je leur fais faire un jeu de rôle qui accentue et met donc en lumière notre manière de penser habituelle, avec ses conséquences pas toujours très constructives…
L’un des participants se porte volontaire pour jouer le rôle d’une personne lambda qui défend un point de vue éthiquement inacceptable (pédophilie, racisme, viol, meurtre, etc.). Les autres participants doivent questionner cette personne lambda avec empathie, afin de comprendre son point de vue, la manière dont elle appréhende le monde, ses valeurs, ses croyances, ses convictions, ses motivations, ses besoins, etc. L’objectif est clairement annoncé : identifier correctement la véritable problématique afin d’être en mesure d’y apporter des solutions. Je donne également la consigne de poser des questions empathiques et donc à priori ouvertes.
Lors du debriefing, je leur fais remarquer que leurs questions étaient souvent fermées et loin d’être empathiques : malgré l’explication de ce qu’est l’empathie et la consigne, ils ne cherchent pas vraiment à comprendre la personne… ils cherchent plutôt à lui faire prendre conscience qu’elle a tort, avec parfois l’espoir de la faire culpabiliser et/ou de la raisonner… (par exemple « Pensez-vous aux proches de la famille ? »)
Je leur fais également prendre conscience qu’ils confondent « comprendre » et « adhérer »… Comme ils sont dans l’incapacité d’adhérer, il leur est très difficile de chercher à comprendre…
Être empathique, ce n’est donc pas, comme on pourrait le croire, avoir de la sympathie pour la personne, avoir envie de la soutenir : on se doit d’être empathique envers un violeur pour comprendre ses motivations et donc identifier la vraie problématique et éviter un nouveau viol. On n’a absolument pas à soutenir le violeur, à adhérer à ses actes inacceptables.
Avant de parvenir à être empathique, il est souvent nécessaire de laisser notre colère s’exprimer, sans la rejeter, afin de l’évacuer et de parvenir, dans un second temps, à s’en détacher pour enfin, dans un troisième temps, être en capacité de convoquer la précieuse empathie.
Et on comprend que les personnes toxiques sont par nature très empathiques : elles savent parfaitement détecter le fonctionnement et les attentes des personnes et appuyer là où ça fait mal.
Alors comme résolution pour ce début d’année, je vous propose quelques pistes de réflexion : Confondre « comprendre » et « adhérer » est un véritable handicap lorsqu’on cherche à résoudre un problème, quel qu’il soit…
Dans quelle mesure faites-vous la distinction entre « comprendre » et « adhérer » ?
Et pensez-vous avoir été empathique lors du dernier problème que vous avez eu à résoudre ? Comment auriez-vous pu l’être davantage ?